L'Arabie a compris que le contrôle des ressources alimentaires était encore plus stratégique que celui du pétrole. Mais la tentative de fertiliser le désert à tourné court après deux décennies de surexploitation des nappes phréatiques.

Les vestiges du rêve agricole saoudien

Sous le règne de Fahd 1er, roi d’Arabie Saoudite entre 1982 et 2005, des centaines de champs circulaires (les fameux « green circles ») se multiplient dans la région du Nadj, grand plateau désertique du centre du pays. C’est le résultat d’une politique agricole initiée par le roi Abdallah à la fin des années 1970 qui devait permettre au pays d’atteindre son indépendance alimentaire à grands coups de subventions publiques. La surface cultivée passait de 700 000 hectares au début des années 1980 à 2,5 millions d’hectares en 1991. Promesse tenue. Les rendements étaient tellement importants que, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (la FAO), la production de blé (qui représentait alors 2,5 millions de tonnes) dépassait alors largement la demande intérieure (s’élevant à 1,8 million de tonnes). L’excédent était alors exporté, faisant du royaume le sixième exportateur mondial de blé en 1992. Mais ce rêve d’autosuffisance n’a été qu’éphémère.

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L’Arabie Saoudite reste l’une des régions les plus arides du monde. Et l’illusion de verdir ce désert se heurte vite à la rareté de l’eau. Ces champs circulaires consomment 88% de l’eau du pays, à 98% souterraine. L’épuisement des nappes fossiles, non renouvelables, et le coût des forages sont tels que la production est divisée par quatre entre 1995 et 2006, passant à 1,5 million d’hectares. Le gouvernement annonce l’arrêt de sa production de blé en 2016, laissant de nombreux champs à l’abandon. C’est ce qu’on peut observer sur les images à dominante roses plus bas. 

La pénurie augmente avec la croissance démographique d’un pays qui approche les 35 millions d’habitants et qui a oublié les traditions économes de leurs ancêtres. En 2004, l’Arabie saoudite était au premier rang mondial par sa consommation d’eau par habitant. Aujourd’hui les Saoudiens consomment 362 litres d’eau par jour, soit plus de 2,5 fois plus que les Français et cette consommation d’eau croît trois à quatre fois plus vite que la population (+7% par an). Cette situation est aggravée par le gaspillage dû au mauvais état du réseau qui entraîne une perte de 20% à 50% dans certaines régions. Alors que les quatre cinquièmes des réserves en eau ont été consommées, l’Arabie doit trouver des solutions.

Aujourd’hui 80 % des ressources alimentaires du royaume sont importées de l’étranger. Le reste prend la forme d’unités de production géantes, sur le modèle des méga-installations américaines, à l’image de la ferme Al Safi, autoproclamée « la plus grande ferme intégrée d’élevage laitier du monde ». Opérée par Danone, elle abrite plus de 37 000 vaches laitières importées du Canada qui produisent 600 000 litres de lait chaque jour. Mais ces cultures sont tout aussi voraces en ressources.

Dans un désert où la température peut atteindre les 50° C, des refroidisseurs maintiennent les fermes en-dessous de 27°C et les vaches bénéficient d’une douche de 6 minutes, deux fois par jour. La ferme a besoin de 1000 tonnes de foin par jour, nécessitant 50 camions faisant la route quotidiennement. Initialement situés à proximité, les zones de culture circulaires servent à produire des fourrages destinés aux vaches. Mais après ces décennies de pompage excessif, les nappes peu profondes se sont épuisées et les champs ont été déplacés à plusieurs centaines de kilomètres où il faut désormais forer à plus de 2 000 mètres de profondeur pour trouver de l’eau.

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En 2025, les besoins alimentaires intérieurs devraient augmenter et l’Arabie saoudite devenir l’un des 10 plus grands acheteurs de blé dans le monde. Faute de pouvoir produire sur place et désirant rester indépendants, le royaume wahhabite a lancé une politique de « land grabbing » qui consiste à acheter des terres à l’étranger pour atteindre une forme d’autosuffisance alimentaire délocalisée.

Que reste-t-il de la Grande Rivière Artificielle de Kadhafi ?

Développée en 2008 par le roi Abdallah, cette stratégie consiste à encourager les investissements saoudiens à l’étranger. Dès 2009 le groupe Hadco a mis fin à ses exploitations agricoles en Arabie pour racheter des milliers d’hectares au Soudan et y cultiver du blé. Le groupe Saudi Ben Laden, connu pour ses activités de construction d’aéroports internationaux, part à la conquête de « l’or blanc » en investissant dans les rizières en Indonésie. Ces importations alimentaires abondantes ont contribué à épargner l’Arabie des secousses révolutionnaires de 2011 causées par la hausse des prix dans le reste du monde arabe. Mais cette politique d’accaparement des terres se heurte à l’opposition des habitants et menace les cultures traditionnelles.

Usine de dessalement, Al Jubair

Usine de dessalement, Al Jubair

Usine de dessalement, Al Jubair

Usine de dessalement, Al Jubair

Pour faire face à la pénurie, l’Arabie a misé sur le déssalement de l’eau de mer. Aujourd’hui, 73 % des ressources en eau domestique est issue des usines de dessalement. Créée en 1974, la compagnie publique Saline Water Conversion Corporation (SWCC), produisait déjà 4 600 000 mètres cube par jour grâce à ses 28 usines de dessalement du pays, soit 22 % de la production mondiale en 2015. Mais cette solution est elle aussi une fuite en avant énergétique. Selon l’AIE (Agence internationale de l’énergie), le tiers de l’énergie primaire consommée en Arabie saoudite sert désormais à dessaler l’eau de mer. 

Cette solution pose également un problème sanitaire. Selon une étude israélienne de 2018, les personnes qui consomment de l’eau dessalée seraient six fois plus exposés à des problèmes cardiaques parce que cette eau est dépourvue de magnésium. A cela s’ajoutent les problèmes écologiques. La production d’un litre d’eau implique le rejet d’un litre et demi de saumure, un résidu d’eau très chaude très concentré en sel et minéraux qui, déversé dans la mer, est néfaste pour la vie marine.

Paul Mesnager, 2022

Dezoom : « Les fermes circulaires d’Arabie Saoudite », Arte.tv, 02 juillet 2019

Alain Cariou, « Fleurir le désert, le mirage de l’agriculture », Études rurales, 204 | 2019, 192-220.

« Arabie saoudite » [archive], sur Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation (France),

Olivier Pasquier, L’eau en Arabie saoudite : une ressource stratégique pour la pérennité du pays, Revue Conflits, Décembre 2021

Alain Gresh, « Rêves d’autosuffisance alimentaire en Arabie saoudite », Le Monde Diplomatique, Mars 2009, pages 8 et 9

« La gestion de l’eau, sa production et sa consommation, des défis pour l’Arabie saoudite désertique », Ambassade de France en Arabie saoudite Service économique de Riyad, 3 juin 2020

Gilles Paris : « L’Arabie saoudite vise une autosuffisance alimentaire délocalisée », Le Monde, 17 avril 2009