Officiellement, la nouvelle capitale égyptienne est construite pour désengorger la vieille ville. Mais le plus grand chantier du monde mené par al Sissi répond à une logique politique qui vise avant tout à asseoir son autoritarisme.

Wedian : Al Masa : Les logiques autoritaires de la nouvelle capitale égyptienne

En Egypte, seuls 2% du territoire sont habités tandis que la croissance démographique est importante, la densité urbaine devient ingérable. En 2016 le gouvernement a lancé une campagne de grande envergure sous le mot d’ordre «two is enough» pour limiter la croissance démographique mais la réalité de la surpopulation est là et il faut trouver des solutions.

Dès son arrivée au pouvoir, le président Abdelfattah Al-Sissi dévoilait son projet de « carte du futur » pour l’Egypte qui prévoit entre autres une nouvelle capitale au milieu du désert.

Le projet de New Administrative Capital (NAC) a été dévoilé au monde en 2015 comme le plus grand chantier du continent africain. D’une superficie de 700 kilomètres carrés, soit 7 fois Paris intramuros, la première phase de construction représente 17 000 hectares de travaux urbains à 45 kilomètres à l’est du Caire : le quartier résidentiel représente 25 000 logements répartis dans 21 districts résidentiels. En tout, 700 immeubles et 950 villas prévus pour accueillir 6,5 millions d’habitants sensés s’y installer à une échéance de 20 ans environ. Ces quartiers seront équipés de 663 infrastructures de santé, 700 écoles maternelles et garderies, 2 000 écoles et collèges,10 000 kilomètres de voies nouvelles, des hôtels de luxe, un parc d’attrations géant, un aéroport, la tour la plus haute du continent africain (345 mètres). A cela s’ajoutent la plus grande église du Moyen-Orient et le plus haut minaret d’Egypte. La nouvelle capitale inclut un quartier des affaires dans lequel sera déplacé la Banque Centrale et la Bourse, un campus universitaire avec les centres de recherche. 1 750 000 emplois permanents sont prévus. Conçue par le cabinet Skidmore, Owings & Merrill LLP, l’un des L’un des plus grands cabinets d’architectes du monde, sur le modèle des nouvelles villes dubaïotes, la nouvelle capitale se veut intelligente et durable, utilisant les nouvelles technologies et faisant cohabiter les gratte-ciels et les espaces verts.

Quartier R6 : référence islamique

Quartier R3

La Vista : référence américaine

Quartier R5 : référence parisienne

Quartier R2

Quartier R1

Six quartiers sont déjà bien avancés. ils sont traversés par un parc  géant qui fera 6 fois la taille du Central Park new yorkais. Le Green River Park sera irrigué par une rivière artificielle issue du Nil. Les quarties résidentiels font chacun référence à des ambiances culturelles : : R5, le quartier le plus chic, est directement inspiré de Paris, la Vista est inspiré des zones résidentielles californiennes, R2, de l’architecture islamique, le quartier des affaires et très stéréotypé et les références à l’Egypte antique sont omniprésentes, que ce soit dans le gigantisme des constructions que dans des références directes : la plus haute tour d’Afrique s’appelle Oblisco ressemble à… Un obélisque, l’allée centrale du quartier gouvernemental est frappé d’un Ankh, le hiéroglyphe qui symbolise la vie etc. l’objectif est d’être une ville internationale inspirée de Dubaï pour attirer les investisseurs, mais aussi d’asseoir symboliquement Sissi comme le successeur des pharaons.

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Habitations destinées aux employés du ministère de la défense

Selon le gouvernement ce projet doit désengorger la capitale qui compte près de 20 millions d’habitants la nuit et 24 millions la journée. Une population qui augmente de 2 millions par an, et qui devrait atteindre les 40 millions en 2050 selon les prévision officielles. Au centre-ville la circulation est chaotique et la pollution pose des problèmes sanitaires. En périphérie, les infrastructures publiques ne suivent pas la croissance des quartiers informels inalubres qui s’étendent sur des kilomètres et échappent à l’autorité de l’Etat.

Palais présidentiel

Ancienne Ville, quartier de Qasr al Ayni

Mettre les institutions en lieu sûr

Après les révolutions et la parenthèse islamiste, Al-Sissi veut offrir une image de stabilité et de grandeur en se calquant sur les nouvelles villes du golfe en s’appropriant des symboles pharaoniques. Il veut surtout reprendre le contrôle sur une population qui menace le pouvoir.

Aujourd’hui les institutions les plus importantes sont situées autour de la place Tahrir, centre de l’insurrection de 2011 : le parlement, le ministère de l’intérieur, la présidence des ministères, le ministère du commerce extérieur et de l’industrie, le ministère des transports et surtout le Mogamma, immense bâtiment qui centralise la bureaucratie égyptienne. Al-Sissi, qui a pris le pouvoir à la faveur de l’écrasement de la révolution, sait combien ces institutions sont vulnérables. En plus d’interdire les manifestations, l’armée empêche physiquement tout rassemblement sur cette place. Le métro de la place Tahrir n’a jamais été rouvert depuis la révolution, les grands axes qui la rejoignent sont soit fermés par des blocs de béton, soit barrés par des chars et des checkpoints mobiles. Cette crispation militaire montre les craintes du régime. Situé dans le même quartier, l’ambassade des Etats-unis cohabite aussi mal avec la population cairote. Les bouclages réguliers du quartier, les rues fermées et les fouilles aléatoires pour des raisons de sécurité s’ajoutent aux problèmes de circulation.

Cette nouvelle capitale mettra les centres du pouvoir en lieu sûr, loin des lieux de contestation. Avant 2022 les 51 000 fonctionnaires publics devront prendre leurs bureaux dans le nouveau quartier ministériel. Celui-ci rassemblera le nouveau palais présidentiel, sensé faire 8 fois la taille de la Maison Blanche, les différents gouvernements, la Banque Centrale, et un quartier réservé aux ambassades. Lorsque les institutions seront déplacées, la rupture entre la population et le pouvoir de l’armée sera inscrite sur le sol. Ainsi le Caire sera dépossédée de ses pouvoirs politico-administratifs tandis que le pouvoir se rapprochera du Canal de Suez.

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Mettre les riches à l’abri des pauvres

Ces grands projets suivent une logique clientéliste qui vise à s’assurer le soutien des plus riches tout en attirant les investisseurs. A mesure que la classe moyenne égyptienne disparaît, les quartiers les plus pauvres côtoient ceux des classes supérieures dans le centre-ville qui se transforme en poudrière. Plutôt que de réduire la fracture sociale, le pouvoir égyptien mise sur des grands projets urbains qui éloignent les plus riches dans des nouveaux quartiers protégés et isole les classes populaires. L’ancienne bourgeoisie vit sur l’île de Zamalek, à Garden-city ou à Maadi, juste à côté des `quartiers informels. La nouvelle bourgeoisie s’installe quant à elle dans les nouveaux compounds d’October City ou de Mohandessin, en périphérie. En déplaçant les institutions en même temps que les classes les plus aisés, la Nouvelle capitale acte la séparation. Celle-ci est d’autant plus définitive que les loyers y sont prohibitifs et la hausse du prix de l’essence rend impossible le déplacement quotidien

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Paul Mesnager, 2022